Le Cambodge porte en lui une part d’ombre, une blessure terrible encore récente, celle du massacre entre 1975 et 1979 de près de 2 millions de personnes par le régime des Khmers rouges, emmené par Pol Pot, son dirigeant politique et militaire.
Aujourd’hui, c’est donc toute une partie du peuple cambodgien âgée de plus de 35 ans qui ne peut pas oublier, hantée par les souffrances d’un passé si violent, si cruel. Mais c’est aussi ces hommes et ces femmes qui chaque jour, doivent aller de l’avant pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants. Si l’un de nos chauffeurs de tuk-tuk nous raconte spontanément quelques mots de son histoire, les cambodgiens en général, préfèrent se taire pour mieux enfouir le passé.
Ainsi, le film « New Year Baby » de Socheata Poeuv en est l’illustration parfaite. La jeune réalisatrice apprend grâce au tournage de son documentaire, l’histoire douloureuse de ses parents, celle de deux survivants qui n’ont jamais dit un seul mot sur le Cambodge depuis qu’ils ont quitté le pays à la naissance de leur fille…Un film que nous avons eu la chance de voir à Phnom Penh et qui permet de mieux comprendre l’état d’esprit de ceux qui ont vécu l’inimaginable. Pour Rith, notre chauffeur de tuk-tuk, la dictature des Khmers rouges l’a laissé orphelin, sur les 5 membres que comptait sa famille, il en est le seul survivant. Il ne s’étendra pas plus… Mais l’on sent que cette confidence est déjà lourde… Alors nous parlons du présent et du futur, et il est fier de nous dire que tous ses enfants vont à l’école ! La nouvelle génération suscite ainsi l’espoir, un beau cadeau fait à ceux à qui l’on a tout pris…
Les killing fields
Rith nous propose alors de nous rendre là où le pire est arrivé, « Le Killing Field de Choeung Ek » devenu aujourd’hui lieu de mémoire. C’est ici, dans cet endroit clôturé, cerné par des murs d’une hauteur de près de trois mètres, et à l’écart de la ville, que des milliers de cambodgiens furent déportés pour être tués. Entre 1976 et 1978, c’est 70 détenus qui étaient sacrifiés chaque mois au nom de la dictature folle de Pol Pot. Plus tard, ils seront 300 chaque jour. Une mort des plus violentes, les prisonniers étaient en effet battus à mort à coups de machettes, de tiges en bambou et de marteaux. Certains étaient égorgés à l’aide de résistantes feuilles de palmiers.
On ne tuait pas par balles… Trop cher… Ceux qui n’étaient pas complètement morts étaient achevés par un produit chimique semblable aux pesticides qu’utilisaient les agriculteurs des alentours. Cela permettait de cacher l’odeur des corps. La plupart des personnes exécutées ici venait de la prison S21, dirigée par Duch, l’un des pires tortionnaires du régime. Parmi les victimes, de nombreux enseignants, médecins, ceux qui avaient les mains soignées… Tous les intellectuels devaient être exterminés…Un comble lorsque l’on sait que Pol Pot lui même s’est rendu en France pour étudier…
Mais le pire réside dans cet acte des plus ignobles, celui de l’assassinat de 100 nouveaux-nés. Et pour cela, il y avait un slogan : « Pour éliminer la mauvaise herbe, il faut également éliminer les racines ».
Si cet arbre pouvait parler… C’est ici, que les bébés furent tués, tenus par les pieds, ils étaient lancés la tête la première contre l’arbre…
Il est déroutant, de se tenir debout, au milieu de ce camp, et d’imaginer toutes les atrocités commises ici. Les ossements, mais aussi les habits des détenus sortis de terre à cause de la pluie sont rassemblés, vous rappelant à chaque instant qu’ici, furent exterminées près de 20 000 personnes…
Les exécutions étaient orchestrées généralement dans la nuit, éclairées à l’aide de projecteurs alimentés par un générateur diesel très bruyant. Pour couvrir les cris, des haut-parleurs diffusaient des chants révolutionnaires effrayants dans toute l’enceinte. Lorsque l’on entend cette « musique », on imagine les détenus rassemblés là au milieu de ce camp, aveuglés par la lumière et effrayés par ces chants dérangeants. Ce moment fut pour nous le plus intense, le plus troublant, car bien que nous ne puissions pas imaginer ce que ces hommes et ces femmes ont ressenti à ce moment là, la sensation d’être pris au piège vous enveloppe littéralement.
Tuol Sleng – Prison S-21
Un lycée devenu centre de détention, de tortures et d’exécutions… A Tuol Sleng, entre 1975 et 1979, étaient enfermés tous les opposants supposés au régime.
Dans la prison S21, l’ambiance est pesante, c’est l’antre de la peur.
Ici, on humiliait dans un premier temps en déshabillant les nouveaux venus, en les mesurant et en les prenant en photo dès leur arrivée, puis, on torturait sans relâche des hommes et des femmes déjà affaiblis, pour leur faire avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis…
La photo ci-dessous illustre bien la pression psychologique exercée ici.
La destruction passait aussi par la douleur physique. Décharges d’électricité, coups de fouet, ongles arrachés, phalanges coupées, tête plongée sous l’eau à répétitions, les détenus subissaient ces actes barbares jusqu’à l’épuisement, souvent jusqu’à la mort. Certains pouvaient même être suspendus par les bras ou les jambes pendant des heures avant de succomber. Le sadisme atteint ici, son paroxysme…
Entrez dans ces salles de la violence et c’est comme si vous entendiez leurs cris…
Mais le plus éprouvant est d’entrer dans les cellules des prisonniers… De vulgaires cages pour animaux où l’on a à peine la place pour s’allonger.
Ici, on se rend compte de l’atrocité du quotidien. Dans ces cellules, on a l’impression d’étouffer…
Au sol, un bocal pour uriner, un autre pour déféquer… Nous avons rencontré durant notre visite de la prison, l’un des survivants : Chum Manh. Dans un interview réalisée il y a une dizaine d’années, l’homme confiait notamment qu’il ne pouvait s’empêcher de pleurer lorsqu’il repensait à ces deux récipients…
Si l’homme âgé de 80 ans aujourd’hui a pu survivre à la prison, c’est parce qu’il avait un savoir-faire qui intéressaient le régime. Grâce à ses compétences en mécanique, il pouvait réparer les machines à coudre. Mais cela ne l’a pas empêché de subir les tortures… Il nous montre son ongle de gros doigt de pied, qui a aujourd’hui repoussé mais que l’on a arraché… Il nous montre son doigt cassé à cause des coups… La torture physique était telle qu’il a quelquefois pensé à se suicider…
Pourtant, aujourd’hui, lorsque l’on demande à l’homme comment il se sent dans cette enceinte où il a vécut le pire, il se dit simplement heureux de pouvoir raconter son histoire aux nouvelles générations. Heureux que des hommes et des femmes venant des tous les pays s’intéressent à ce qu’il a vécut, à ce qu’il s’est passé ici, pour dire au monde entier une nouvelle fois PLUS JAMAIS ÇA !
Rattana@Ici Laos Cambodge / 4 décembre 2013
Je découvre à l’instant votre blog.
Votre article est prenant vous y traitez des Killing Fields et de Tuol Sleng comme si on y était et qu’on pouvait ressentir les tortures qu’ont subi les cambodgiens.
J’ai visité S-21 mais pas les Killing fields. Vos photos et votre récit illustrent bien une ambiance lourde mais me donne tout de même envie de le visiter lors d’un prochain voyage.
Have A Nice Trip / 4 décembre 2013
Merci pour tes commentaires, le fait de découvrir une vérité si sordide n’est pas des plus faciles, mais c’est un devoir de mémoire. Voir les Killing Fields et S21 nous a permis de mieux appréhender l’histoire récente du pays. Nous espérons en tous cas, pouvoir retourner un jour au Cambodge.
Tony / 8 janvier 2014
Plus jamais ça ! Exactement. Et pourtant l’histoire se répète inlassablement dans le monde. A croire que l’humanité n’apprend pas de ses erreurs.
Le plus frappant est d’imaginer un Pol Pot aussi affable tant qu’il enseignait à l’étranger et de le comparer à l’ordure qu’il est devenu en accédant au pouvoir. Je veux bien croire que nécessité fait loi mais quand même…
Pol Pot aura réussit à « purger » 20 % de la population Cambodgienne avant de se faire chasser par les Vietnamiens. Il laisse un pays déchiré et profondément meurtri. Comment imaginer l’horreur qu’ont pu vivre Chum Manh et ses compatriotes encore vivants aujourd’hui.
Le pire pour ces malheureux c’est de savoir que Pol Pot n’aura jamais payé pour ses crimes.
Merci pour ce petit bout d’histoire si bien amené. Il faudrait plus d’article de cet acabit sur la blogosphère voyage. 🙂
Have A Nice Trip / 8 janvier 2014
Au Cambodge, nous avons vraiment pris l’Histoire en pleine figure… Même si l’on connaissait la situation, entrer dans le vif du sujet a été éprouvant. Nous avons essayé de le retranscrire comme il se doit. Merci pour ton commentaire, instructif lui-aussi.